la peste camus pg 105
Rieux put courir d'un malade à l'autre. Mais dans les commencements, tous les soirs furent comme ce soir où, entré chez Mme Loret, dans un petit appart décoré d'éventails et de fleurs artificielles, il faut reçu par la mère qui lui dit avec un sourire mal dessiné: j'espère bien que ce n'est pas la fièvre dont tout le monde parle. Et lui, relevant drap et chemise, contemplait en silence les taches rouges sur le ventre et les cuisses, l'enflame des ganglions. Le mère regardait entre les jambes de sa fille et criait, sans pouvoir se dominer. Tous les soirs des mères hurlaient ainsi, avec un air abstrait, devant de ventres offerts avec tous leurs signes mortels, tous les soirs des bras s'agrippaient à ceux de Rieux, des paroles inutiles, des promesses et des pleurs se précipitaient, tous les soirs des timbres d'ambulance déclenchaient des crises aussi vaines que toute douleur. Et au bout de cette longue visite de soirs toujours semblables, Rieux ne pouvait espérer rien d'autre qu'une longue suite de scènes pareilles, indéfiniment renouvelées. Oui, la peste, comme l'abstraction, était monotone. Une seule chose peut-être changeait et c'était Rieux lui-même.